L'inerte et le mouvant

À l’occasion de l’exposition « L’inerte et le mouvant », l’artiste Sylvia Tabet présente une série de gouaches, « image-souvenir » des paysages puissants de la presqu’île bretonne de Crozon. 

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À l’occasion de l’exposition « L’inerte et le mouvant », l’artiste Sylvia Tabet présente une série de gouaches, « image-souvenir » des paysages puissants de la presqu’île bretonne de Crozon. 

Cette Nature non contaminée, où l’écume se mêle à la brume et où la terre porte la trace abyssale de l’existence, ouvre le champ aux « intuitions picturales » au cœur desquelles l’esthétique se fait ontologie et expression d’un rapport intime au monde.

Les œuvres présentées jouent du paradoxe de la perception du temps et du réel, des constantes chez l’artiste. Loin d’une simple narration picturale de la nature, Sylvia Tabet associe « impression » et « intuition pure » que les choses produisent sur la conscience. Face à la poétique du paysage, un étrange contraste s’établit entre l’uniformité de la matière, d’une vue saisie dans l’immobilité, et le mouvement incessant de la pensée. Le résultat, ce sont des expériences bergsoniennes, des paysages intérieurs, fruits de l’endosmose entre les deux temps de l’humain, le temps « immobile » et la « durée ». L’homogénéité de l’espace, soit « l’inerte », et l’hétérogénéité de la pensée, « le mouvant ».

La surface de la toile, à la fois plate et profonde, devient le réceptacle de cette rencontre ; une dialectique à la fois philosophique et plastique, requérant chez le spectateur l’introspection et la contemplation simultanée de l’organique et de l’inorganique. Au sein de la composition, les lignes de fuites structurent l’espace. La ligne, cette coordonnée essentielle et fixe produit cependant l’illusion d’une mobilité sur un temps conçu dans l’horizontalité. Seuls quelques éléments, des rochers et des vagues qui se déforment et s’allongent pour revenir aussitôt à leur forme initiale, viennent rompre cette inclinaison du trait sans perturber l’équilibre propice à la méditation. Chaque paysage apparait concret et impeccablement abstrait. Les nuances sont opaques et diaphanes, les teintes intenses et assourdies, bleutées, grisâtres, sombres, avec parfois l’usage d’un jaune pâle en touches que l’on dirait « impressionnistes ». 

Pour reprendre les mots de Lemaire, « Ici comme jamais, l’exercice de la couleur est un exercice spirituel ». Le spectateur se trouve face à un éventail de données à la fois atmosphériques et psychologiques qui suscitent dans leur hétérogénéité une dynamique du devenir imprévisible et unique. Cela, puisqu’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve d’une même conscience. Au cours de ce cheminement, chaque tableau témoigne d’un état de conscience : une tonalité de l’âme qui remet en cause et opacifie subtilement notre quantification et qualification du temps, autant que toute réalité intérieure et extérieure. 

Tournés vers cette réalité mouvante, les horizons temporels présentés ne doivent pas être compris comme la succession d’un « avant » et d’un « après », mais comme des interpénétrations d’intervalles d’un temps vécu par l’esprit. L’artiste invite à se promener sur un autre plan spacio-temporel, celui de la simultanéité, soit « le présent du passé, le présent du présent, le présent d’un futur ». 

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